1. Introduction et contexte
L’engagement de longue date des entreprises sucrières dans la réduction de leurs consommations d’énergie (optimisation) et de leurs émissions de GES (sortie effective du charbon) se manifeste par une réduction de près de 30% de la consommation d’énergie à la tonne de betteraves travaillées : de 880 MJ/t en 1990 à moins de 620 MJ/t en 2020. Dans le cadre de la loi n°2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, la feuille de route de décarbonation 2030 du secteur est en discussion avec l’administration et le SNFS a travaillé avec l’ADEME au Plan de Transition Sectoriel visant sa neutralité carbone en 2050.
2. Un secteur agroindustriel intensif en énergie, soumis à forte concurrence internationale
L’industrie sucrière se caractérise par les points suivants :
- Unique valorisation de la betterave sucrière
- Industrie intensive en énergie (principalement gazo-intensive).
- Très forte saisonnalité liée à la périssabilité de la betterave : consommation très forte en hiver, réduite le reste de l’année.
- Travail de 33 millions de tonnes/an de betteraves produites par 23 000 planteurs.
- Ruralité de l’appareil industriel à proximité des zones de cultures de betteraves sucrières.
- Industrie très fortement capitalistique caractéristique accentuée par sa saisonnalité.
- Industrie fortement soumise à la concurrence internationale. Son avenir passe par le maintien de sa compétitivité et de sa capacité à exporter (4,8 Mt produites, 2,0 Mt exportées dont 1,6 Mt en UE). Le prix de revient du sucre produit en France doit rester compétitif par rapport :
- Au sucre produit ailleurs en UE au risque de perte des marchés déficitaires du sud.
- Au sucre de canne qui, au contraire du sucre de betteraves, est autonome en énergie par l’utilisation énergétique de la bagasse (fibre de canne équivalent de la pulpe).
- Industrie soumise à la concurrence agricole. L’outil industriel est spécifique à la transformation de la betterave sucrière et n’est pas adaptable à une autre culture. Le prix d’achat des betteraves doit rester attractif pour les agriculteurs par rapport aux autres cultures (blé, orge de printemps…). C’est d’autant plus fondamental que l’agriculture doit aussi assumer ses coûts de décarbonation et l’impact de la stratégie européenne de la fourche à la fourchette.
La raison d’être des entreprises sucrières est de produire du sucre et de l’éthanol, et de valoriser au mieux la culture de la betterave sucrière. La valorisation interne ou externe des co-produits contribue à cette valorisation.
3. Décarbonation – L’utilisation énergétique de la pulpe de betteraves est la solution la plus pertinente pour le secteur
3.1 Etat des lieux
Les travaux sur la décarbonation du secteur tant français qu’européen mettent en évidence :
- Un procédé identique dans le monde entier : aucune rupture technologique concernant le procédé sucrier n’est identifiée à ce jour sur le plan mondial.
- Un procédé optimisé énergétiquement depuis des décennies. Les marges de progrès restantes sont limitées : estimées à 12% entre 2015 et 2030.
- La principale voie de décarbonation de l’industrie sucrière est la substitution des combustibles fossiles actuellement utilisés, principalement du gaz naturel.
- Le niveau des investissements estimés : 2 à 4 milliards € d’ici 2050 rend indispensable de commencer dès maintenant avec les solutions disponibles.
Pour atteindre les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre et renforcer la résilience du secteur, la décarbonation doit être initiée dès maintenant avec les solutions immédiatement disponibles afin de planifier la charge d’investissement sur trois décennies.
3.2 Principales solutions externes de substitution des fossiles (essentiellement gaz naturel)
La feuille de route 2030 du secteur sucrier français identifie et analyse plusieurs solutions techniques :
Électrification : Tous les sites exploitent des cogénérations produisant l’essentiel de l’électricité nécessaire. C’est imposé techniquement par la ruralité (accès limité à des grandes quantités d’électricité) et économiquement par la saisonnalité (électricité plus chère en période hivernale).
Le développement de l’électrification se heurte à plusieurs blocages :
- Ruralité : Pas d’accès à des puissances supplémentaires sans développer des lignes d’alimentation avec des délais de 7 à 10 ans (selon RTE). A ce jour, pas de planification de raccordement des usines isolées en zone rurale. Les grandes plateformes industrielles seront privilégiées.
- Disponibilité : La période hivernale (pointe) comporte des risques de plus en plus importants d’effacement ou de délestage. Il faut compter avec les incertitudes sur la capacité nationale à produire suffisamment d’électricité pour les évolutions prévues des besoins (consommations industrielles -dont hydrogène vert- et domestiques).
- Economique : Le prix plus élevé durant l’hiver lié à la saisonnalité, l’incertitude sur l’évolution des prix à moyen et long terme (devenir de l’Arenh, « design market » européen, …) et sur les disponibilités à moyen terme ne permettent pas de se projeter industriellement.
L’électrification des usines débutera après l’augmentation des capacités du réseau. Elle permettra de poursuivre leur optimisation énergétique avec des recompressions mécaniques de vapeur (technologie mature) ou, si le potentiel se confirme, avec des pompes à chaleurs haute température (en développement, pas d’industrialisation avant plusieurs années), au cas par cas selon les schémas thermiques.
Hydrogène : Il ne sera pas disponible avant des dizaines années et la ruralité rend difficile l’accès aux futurs réseaux.
Biomasse forestière : Pour la production de sucre, elle nécessite des investissements massifs pour changer les installations de combustion avec des incertitudes concernant l’accès aux gisements (déjà en tension dans nos zones d’approvisionnement) vu la saisonnalité et l’importance des besoins. Cette solution est déjà utilisée dans le secteur, pour les distilleries fonctionnant à l’année et pour les unités de séchage de pulpes et de luzerne en substitution au charbon.
Biométhane par les réseaux : Plusieurs points de blocage apparaissent pour développer à court et moyen terme cette solution :
- Disponibilité : Le volume restera faible durant de nombreuses années et va impliquer d’acheter du gaz naturel pour compléter. La saisonnalité de l’activité sera aussi un point bloquant pour les producteurs de biogaz qui eux travaillent à l’année.
- Economique : La crise actuelle montre la forte dépendance du prix de revient du biométhane obtenu par méthanisation au coût de l’électricité et des intrants. Ce point, ajouté à la concurrence sur les usages, ne permettra pas de baisse du prix.
- Réglementaire : blocage des Garanties d’Origine (preuve de durabilité) du biogaz aidé (le seul disponible pour le moment), pas de possibilité de contrat type PPA (en cours de réflexion).
Les développements ci-dessus montrent que l’utilisation de sources d’énergie extérieure aux sites n’est pas la solution du secteur sucrier à court et moyen terme en raison soit de l’absence de disponibilités, soit de défaut de compétitivité.
3.3 Principales solutions internes de substitution des fossiles (essentiellement gaz naturel)
Valorisation des effluents et déchets : La valorisation énergétique des effluents et déchets organiques par méthanisation peut apporter 5 à 10% des besoins en énergie de la production de sucre. Cette solution existe déjà sur plusieurs sites en France et devrait se développer progressivement.
Utilisation énergétique de la pulpe de betterave : Résidu « fatal » du procédé, à la fois aliment pour animaux (utilisation majoritaire actuelle), source de fibres et source d’énergie, la pulpe est de plus en plus employée pour produire du biogaz en l’absence de débouché dans les filières animales.
Disponible pour une utilisation directe in situ, la pulpe de betterave peut assurer la décarbonation des sucreries par méthanisation ou par combustion directe, selon les schémas. Il est estimé que, selon les niveaux de performance, les besoins énergétiques de la production de sucre peuvent être assurés à 100% avec 55 à 80% des pulpes en combustion ou à 70 à 90% avec 100% des pulpes en méthanisation.
Du fait de son apport plus faible en énergie et de la complexité de gestion d’un procédé biologique pour une industrie saisonnière, la méthanisation des pulpes paraît moins adaptée que la combustion mais les conditions locales de chaque site peuvent influencer le choix entre ces deux options.
Cette analyse montre que les solutions internes sont pertinentes immédiatement.
Les avantages que voit le secteur à l’utilisation énergétique des pulpes sont les suivants :
- Elle est disponible, propriété des industriels et n’interfère pas sur les massifs forestiers. Elle permet la décarbonation progressive, site par site, du secteur.
- Elle permet maîtrise des coûts et maintien de la valeur ajoutée de l’énergie dans la filière.
- Elle permet l’autonomie et libère des incertitudes liées aux coûts des énergies.
- Les solutions techniques sont là (méthanisation et combustion).
- Elle permet un niveau d’électrification compatible avec les capacités du réseau public tout en maintenant une cogénération performante qui a l’avantage de ne pas sursolliciter le réseau électrique en période hivernale.
Une fraction significative des pulpes, notamment dans le cas de la combustion, resterait disponible pour l’alimentation animale ou pour d’autres applications.
Elle nécessite des investissements financiers majeurs (100 à 200 millions €/site) pour modifier les installations de combustion et adapter les schémas énergétiques. Cela impose une mise en œuvre très progressive selon la capacité des entreprises à investir.
Pour atteindre les objectifs de décarbonation de 2030, il sera nécessaire de la mettre en œuvre a minima sur 2 sites avant cette échéance.